Le débauchage de personnel, au même titre que le détournement de clientèle et le dénigrement, constitue un cas de concurrence déloyale. En théorie, recruter du personnel chez un concurrent est autorisé. Le problème surgit quand votre ex-associé, après votre séparation, part avec le personnel clé de l’entreprise que vous aviez fondé ensemble. Quels risques courrez-vous ? Quels risques court-il ? Existe-t-il des moyens de vous protéger ?
Et comme je suis généreux, je vous offre une clause de non-débauchage toute faite, à personnaliser. C’est celle que j’utilise personnellement avec mes clients.
Mais pas trop vite petit papillon : pour la mériter, il faut lire l’article !
Votre personnel clé : une histoire de cœur
Dans notre article sur la concurrence déloyale, j’ai fait un parallèle entre les organes vitaux et la vie d’une association. Le cerveau pour signifier les associés. Les poumons pour signifier les clients. Le cœur pour signifier le personnel clé.
L’idée est que si un de ces organes vitaux est touché, vous (votre société) aurez beaucoup de mal à vous en remettre. Au moment de la séparation avec votre associé, le cerveau en prend un coup. Et il y a de forts risques que d’autres organes soient touchés.
Notamment le cœur. Votre personnel stratégique. Attention, ça ne veut pas exclusivement dire « employés ». Quand je parle de personnel, je parle:
? en interne : des salariés clés
? en externe : des sous-traitants clés indépendants
Les salariés sont les muscles du cœur, ceux qui buchent sans relâche. Les externes sont les artères, celles qui transportent le sang frais et oxygéné.
(En parlant de ?, il faut absolument que je vous présente la charmante Mamie Claude, qui elle n’hésite pas à se tirer avec le personnel clé de son ancienne boite )
Risque de débauchage à O.K. Corral
Lors de la séparation, ou après, votre ex-associé peut décider de détourner ce personnel capital pour votre entreprise. Il se comporte comme un cow-boy … J’en parlais quand je définissais la concurrence déloyale. Je faisais même une différence de taille :
? Le petit cow-boy, qui attend d’être parti pour commettre ses exactions
? Le grand cow-boy, qui fait semblant de rester tout en préparant son départ en coulisse. Il a déjà créé une autre structure et siphonne vos clients et votre personnel.
Bon, ben ce cow-boy, excusez-moi du terme, se comporte comme un salaud. Parce que la perte de personnel clé a un triple coût pour vous :
? Le coût pour rester opérationnel
? Le coût pour recruter une autre personne avec le même potentiel … mais pas nécessairement la même valeur
? Le coût pour former cette nouvelle recrue en interne pour qu’elle arrive au même niveau que la perle débauchée.
Une histoire de tuyaux débauchés
(J’espère que vous appréciez le jeu de mots)
Cas vécu : Je vais maintenant vous parler d’Etienne. Etienne m’appelle un jour, tout paniqué. Son associé, Marcel, dont il vient de se séparer, a créé une nouvelle société de plomberie. Il fait exactement la même activité que lui.
Et il a débauché son personnel.
Et il a détourné ses clients.
Marcel est un cow-boy plombier, en quelque sorte.
Si Etienne m’a appelé tout déconfit, c’est qu’il venait de se rendre compte que la société qu’il avait gardée était une coquille vide. Vidé de ses poumons et de son cœur. Arrêt total de l’organisme, le cerveau ne peut pas faire grand-chose tout seul.
Etienne me voyait comme le Messie, prêt à faire des miracles. Mais malheureusement, il était déjà trop tard. Je n’ai pas accepté son dossier. Ne me traitez pas tout de suite de salaud. Non, je n’ai pas pris son dossier pour lui éviter des dépenses complémentaires et totalement inutiles.
Parce que sauf exception (si les enjeux financiers dépassent les 100.000€), dans un cas pareil, vous aurez perdu la partie. S’épuiser au tribunal, moralement, physiquement et économiquement, ne servirait à rien.
De toute manière, personne ne pourra obliger vos anciens clients ou votre ancien personnel à retravailler avec vous.
(Et Mamie Claude s’en frotte les mains ?)
Les critères qui définissent le détournement de personnel clé
On considère qu’il y a détournement non autorisé de personnel clé quand :
1. Il y a une confusion entre deux entreprises.
En clair, le client pense traiter avec la société d’Etienne alors qu’en fait il traite avec la société de Marcel. Tout simplement parce que les interlocuteurs – le personnel – avec qui le client était en contact chez Etienne Plomberie sont passés chez Marcel Tuyaux.
2. Il y a un vol de savoir-faire, de secret de fabrication.
Les ex-employés d’Etienne Plomberie sont partis avec le Débouche 3000, inventé par Etienne, et l’utilisent sans vergogne chez Marcel Tuyaux, en lui donnant la paternité de l’acte. C’est même leur argument marketing principal.
3. Il y a désorganisation de l’entreprise.
C’est mathématique. Si Etienne Plomberie avait douze chantiers en cours, c’est parce qu’il pouvait s’appuyer sur ses forces vives : son associé et ses employés. Tout seul, il a du mal à pouvoir gérer les douze chantiers, ce qui amène à un retard dans l’exécution, une accumulation de fatigue, des erreurs …
Évidemment, les trois points peuvent être cumulables. C’est une espèce de super jackpot de la concurrence déloyale.
(Et vous savez quoi ? Mamie Claude elle ne s’est pas gênée pour remporter le jackpot.)
La clause de non-débauchage pour ralentir les cow-boys
La solution pour ralentir le cow-boy de vous voler le personnel clé reste la clause de non-débauchage. Je dis bien ralentir, et non contraindre. Parce qu’on n’est pas dans une dictature : les employés sont libres de faire ce qu’ils veulent. Le personnel clé peut aller où bon lui semble – sauf s’il a signé une clause d’exclusivité.
Comment définir la clause de non-débauchage ?
Trois points essentiels :
- Définissez ce que vous entendez par « personnel clé »
À savoir : le personnel indispensable pour le fonctionnement normal de la boite. Dans le cas d’Etienne, c’est un plombier ou un spécialiste en faïence (puisqu’Etienne est spécialiste en salle de bains). Pour une maison de Champagne, ce sera le chef de cave. Pour un parfumeur, ce sera son nez …
- Définissez la durée d’application de la clause
Classiquement, c’est 2 ans. Pour blinder, misez sur 5 ans.
- Définissez les pénalités financières
Parce que c’est bien de ça dont il s’agit. S’il y a débauchage malgré la clause de non-débauchage, il faut passer à la caisse. Le montant dépend de l’importance du personnel clé. Cela peut aller de 25.000 à 100.000€ … si pas plus.
Boom, un cadeau, une clause de non-débauchage toute faite
Je vous l’avais promis, ce n’était pas du flan. Découvrez la clause de non-débauchage que j’utilise avec mes clients au moment de leur séparation. Vous pouvez répliquer ce modèle, évidemment l’adapter à votre situation.
Quand introduire la clause de non-débauchage ?
Trois moments :
? Au moment de l’association. Les associés s’engagent mutuellement à ne pas détourner le personnel clé de la boite pour l’une de leurs sociétés personnelles existantes ou futures.
? Pendant la vie de l’association, quand vous accumulez les red flags. Bon, d’accord, ça parait utopique que votre associé signe une telle clause alors que vous vous crêpez le chignon. Enfin … Sauf si vous êtes le crocodile et que vous avez des moyens de pression.
? Au moment de la séparation, lors de la négociation pour l’achat ou la vente des actions. Vous allez négocier en même temps les clauses essentielles pour vous protéger :
? La clause de non-concurrence
? La clause de non-débauchage
? La clause de non-dénigrement
Dans la pratique, vous êtes 99,9% à négocier les clauses au moment de votre séparation. L’idéal, et c’est ce que je prêche, serait de le faire au moment de la constitution de l’association.
Vous savez, quand vous êtes censés envisager le pire et construire votre relation professionnelle sur des bases saines ? Petite piqûre de rappel : « Pour devenir associé, il ne faut pas coucher le premier soir. »
(C’est en tout cas ce que n’arrête pas de me dire Mamie Claude.)
Derniers points d’attention concernant la clause de non-débauchage
Vous vous souvenez, quand vous étiez petit, de ce monsieur pas trop aimable du magasin qui disait : « Si tu touches, tu paies ? ». Et bien dans le cadre de la clause de non-concurrence, c’est pareil. « Si tu casses la clause, tu paies. »
C’est donc l’associé en tort qui supporte les conséquences financières de sa rupture de clause. Il doit payer à l’entreprise lésée les pénalités financières.
Le personnel, quant à lui, est libre de faire ce qu’il veut, sans conséquence. SAUF s’il a accepté une clause d’exclusivité lors de la signature de son contrat d’embauche.
Prévoir une clause d’exclusivité dans les contrats de travail des salariés de votre entreprise, est un autre moyen de vous protéger de la perte de personnel clé salarié.
Mais comme on dépasse le cadre de notre mission et de notre expertise (parce que ce blog ne s’adresse qu’aux relations entre associés, je vous le rappelle), je vous conseille pour les salariés de vous renseigner en tapant sur Google : « droit du travail clause de non-concurrence modalités ».
Concernant les indépendants, vos sous-traitants, je vous conseille également de signer des clauses d’exclusivités à intégrer dans vos contrats de collaboration. Je le fais systématiquement avec toute personne clé qui travaille sur notre business monassocie.com.
En bref
Le débauchage est une manière de détourner votre personnel clé. On considère qu’il y a détournement quand il y a :
? une confusion pour le client quant à ses interlocuteurs
? un vol de savoir-faire
? désorganisation de l’entreprise
La clause de non-débauchage, à signer si possible lors de la création de l’association (ou au plus tard au moment de la séparation), définit :
✅ Le personnel considéré comme « clé »
✅ La valeur financière du personnel clé
✅ La durée d’application
La clause de non-débauchage engage les signataires, à savoir les associés. Les employés et sous-traitants ne sont pas impactés financièrement si la clause est rompue entre les associés. C’est l’ex-associé fautif qui doit des pénalités financières.
La clause de non-débauchage, tout comme la clause de non-concurrence ou de non-dénigrement, sert à ralentir votre ex-associé. Il ne peut pas l’arrêter.